On lit en Deuteronome, que le souverain Dieu commanda au peuple d’Israel (monseigneur treshonoré) de n’apparoistre devant sa face, la main vuide, mais qu’il luy feist offre de quelque de selon sa puissance, en signe de recongnoissance et subjection. Ce que font encore maintenant les hommes, et mesme ceulx qui se presentent pour saluer un roy, un prince, ou aucun grand seigneur, suyvant la maniere des Persans.
Or donc apres avoir longuement discuté et debatu en mon simple et rude entendement (combien que crainte et honte ayent maintefois retiré le mien affectionné desir.) J’ay entreprins envoyer ce petit volume, que je ay traduict de Latin en nostre langue Françoise, qui est le premier labeur de ma plume (quant en traduction) pour saluer et ensemble faire offre d’iceluy à vostre noblesse, courtoisie et debonnaireté. Voulant declarer par cela, que loyal serviteur et vray subject ne doibt estre recreu en toutes sortes licites, justes et raisonnables, rendre son seigneur à luy favorable et bienvueillant. Parquoy estimant grandement ma bienheureté d’estre du nombre de voz hommes, et tresobeissans subjectz (voire le moindre en sçavoir et vertu) natif en vostre territoire d’Evreux, en tesmoignage de gratitude, j’ay entreprins de tourner en nostre vulgaire François, et à vous dedier ledict petit recueil, qui a esté de bien nouveau extraict des amples et grandz volumes de François Patrice, natif de Senes en Italie : auquel est parlé souverainement du gouvernement et regime de la chose publicque. Et pour autant qu'un bon pilote de mer (ainsi comme recite le treselegant pœte Ovide) prend grand plaisir à deviser et à ouyr parler des ventz, et choses qui concernent le faict de la mer, un laboureur de ses beufz et de sa charrue : par semblable m'est il advis qu'un gouverneur du bien public, et amiable zelateur d'une police humaine, est grandement joyeux, quand il oyt tenir propos conductibles et fructueux de son estat. Parquoy, mon seigneur trescher, entendu qu'amour de Roy, et l'excellence de voz vertuz vous ont conduict à la charge et honneur du gouvernement de Normandie, dont toute la nation ne se tient pas moins heureuse que faisoyent les Rommains jadis d'avoir recouvert Scipion l'Aphrican, pource que l'espoir d'icelle git totalement en vous, et vous peult ores nommer le pere du pays. O peuple bien fortuné, de veoir en tes jours un personnage si accomply en graces et dons divins. Mais de crainte que je ne soye noté d'adulation et blandissement, je tourneray bride autre voye : car un marbre de soy n'a que faire de peincture : puis ma plume se sent trop rusticque pour toucher personne si exquise. Or ay je pensé que ce mien petit travail pourroit possible quelque fois amuser vostre œil à en faire lecture, consideré que l'œuvre est en ses matieres succinct, et plein de diversité, ce qui plait mout à nature. Et d'advantage iceluy est par tout semé d'estoilles, qui font la separation desdictes matieres et substances, pour soulager l'esprit des amiables lecteurs : si qu'en le traduisant me vint en fantasie que je veoye un firmament. Or (dy je à part moy) à l'accomplissement de ceste besongne, ne reste plus que deux luminaires, pour l'embellir, et illustrer, afin qu'il soit en la semblance du celeste, duquel est faicte mention au premier de Genese. Permettez donc, et ayez s'il vous plaist aggreable, que vous tant estimé et excellent nom, ensemble celuy de vostre tresaymé frere, mon seigneur monsieur de Lisieux, prelat vertueux et bening soyent au commencement de ce mien petit exercice, afin qu'ilz illuminent et donnent lustre à iceluy : car vous estes les deux estoilles Occidentales, joinctes par amour et alliance fraternelle, comme Castor et Pollux, qui DIeu a posé au firmament de dignité, pour luyre sur la terre. Que dy je, deux estoilles ? Mais deux soleilz d'honneur et prestance. Or si le soleil, qui est l'honneur du ciel, et le choix des autres astres, daigne bien jetter sa lumiere sus une fange et putrefaction terrestre, quant à moy, j'ay ceste ferme confiance, que daignerez estendre les rayons luysans de votre gratieux œil, sur ce livret que j'ay intitulé Le livre de Police humaine pource qu'en ensuyvant ce qui est comprins en iceluy, l'homme vivra en ce monde glorieusement en honneur et bruit, et sera guidé à fin desiree et heureuse. A tant prendra en cest endroit mon champestre escript congé de vostre bonté, et illustre seigneurie, priant le largiteur du souverain bien, vous donner le comble de voz plus hault desirs.
Esperant mieulx